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Yom – Alone in the light

© Léa Rouaud

Concert au Théâtre Jean-Claude Carrière, Domaine d’O/Montpellier, le 10 novembre 2023 – Yom, composition et clarinette, Léo Jassef, piano.

C’est un éblouissant duo qui enveloppe le public, ce soir-là au Domaine d’O, de ses sonorités chaudes. Yom est à la clarinette, Léo Jassef au piano. En un souffle ininterrompu, Yom pénètre le public de ses réitérations et récurrences et construit, dans une complicité absolue avec le pianiste, un long poème dramatique.

Tous deux se connaissent, ils ont enregistré sous label Komos en 2020 Célébration, un album composé d’abord en studio pour fêter la venue au monde du fils de Yom, et qui mêle piano, percussions et clarinette, créant des sonorités bien particulières, en sourdine, douces comme une boîte à musique, à la fois cinématographiques et oniriques. « J’ai passé neuf jours en studio et j’ai utilisé tout ce temps qu’il est très rare d’avoir pour travailler réellement chaque morceau. Je peux dire que c’est mon premier album de compositeur. Comme une célébration. »

© Léa Rouaud

Dès l’âge de cinq ans Yom décidait de la clarinette en écoutant Pierre et le Loup. Il apprend d’abord la flûte à bec à l’école de musique de son quartier puis la clarinette à partir de l’âge de dix ans, au Conservatoire à rayonnement régional de Paris. Il se passionne très vite pour la musique Klezmer qu’il expérimente, dans ses ornementations et improvisations, musique issue des ashkénazes d’Europe orientale et centrale qu’on joue notamment pendant les mariages et festivités religieuses, dans laquelle il se reconnaît une part d’hérédité,

Tout en jouant avec des formations diverses, Yom creuse son sillon en solo et fait des pas de côté au gré de ses rencontres. Son album Unue – qui signifie Espérance, en espéranto, était sorti en 2009. C’est un album de complicités musicales où il joue en duo avec des musiciens tels que Denis Cuniot, spécialiste de musique Klezmer, Wang Li spécialiste de guimbarde et de flûte à calebasse, Ibrahim Maalouf, bien connu à la trompette, Farid D guitariste, et d’autres encore.

Il y eut ensuite, entre autres, Le Silence de l’exode, musique ininterrompue déjà, qui avait existé d’abord sur scène lors d’un concert donné à la Dynamo de Banlieues bleues, en septembre 2012. Yom le relie à son histoire personnelle et familiale, à sa propre « fantasmagorie généalogique, l’exode du peuple juif à la sortie d’Égypte il y a 3300 ans… car l’humanité est faite d’exodes, d’épopées, d’odyssées » poursuit-il. Trois instruments l’accompagnaient, une contrebasse (Claude Tchamitchian), un violoncelle (Farid D) et des percussions – zarb, daf et bendir (Bijan Chemirani).

© Léa Rouaud

Yom poursuit sa route et descend vers le sud, se rapprochant de la Turquie aux sonorités plus profondes et plus graves. Dans son dernier album, Alone in the light, produit par Planètes Rouges en décembre 2022, avec Léo Jassef et Julien Perraudeau, ingénieur du son en même temps que musicien, il part à la rencontre de ses ancêtres, « des multitudes tapies dans l’ombre de l’Histoire qui laissent en chacun de nous une particule de présence, qui nous construisent et qui parfois s’expriment avec ou à travers nous » dit-il. Au gré de ses arpèges en souffle continu il navigue entre vibrations, éruption et exploration et passe de la lumière tranquille aux fulgurances, qu’il lance avec passion.

Au carrefour de géographies et d’influences musicales multiples – classique, contemporaine, jazz, de tradition orientale – Yom poursuit sa conversation poétique avec Léo Jassef, dans la symbiose de leurs instruments, pour le plus grand plaisir et l’émotion du public du Domaine d’O, ce soir-là. Comme un voyage initiatique, son nocturne éclairé a quelque chose de sacré et de contemplatif, il est pure énergie, concentration et lyrisme.

Brigitte Rémer, le 22 novembre 2023

Concert au Domaine d’O de Montpellier, le 10 novembre 2023, 178 Rue de la Carrierasse, 34090 Montpellier –  tramway ligne 1, arrêt Malbosc, Bus, ligne 24, arrêt Galéra – tél. : 04 48 79 89 89 – site : www.domainedo.fr – en tournée, le 27 novembre, au Théâtre de l’Athénée, Paris – 7 et 8 décembre, La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc (22) – 15 décembre, Le Triton, Les Lilas  – L’album Alone In The Light, est sorti le 13 octobre 2023, label Planètes Rouges.

Carte blanche au Festival Gnaoua et Musiques du Monde

© Jean-Luc Jennepin

Concert en dialogue avec le Festival d’Essaouira, avec : Maâlem Hamid El Kasri, guembri Karim Ziad, batterie – Torsten de Winkel, guitare – Mustapha Antari, percussions – Mehdi Chaïb, saxophone – dans le cadre du Festival Arabesques, Domaine d’O, à Montpellier, le 9 septembre 2023.

Ce soir-là le domaine d’O est en chagrin, endeuillé par le séisme qui a ravagé la région du Haut-Atlas, au Maroc, la veille au soir. Arabesques, dédié aux musiques du Maghreb et du Moyen-Orient, festival inscrit dans le tissu local et qui fait partie du vivre ensemble à Montpellier, avait mis le Maroc à l’honneur, en cette dix-huitième édition. Son fondateur et directeur de programmation, Habib Dechraoui et la présidente d’Uni’Sons, Fadelha Benammar Koly introduisent le concert, les musiciens ont été consultés pour savoir s’ils pourraient honorer la soirée. Si les festivités telles que déambulations et soirée DJ ont été annulées, tous ont choisi de se retrouver, et de  jouer.

© Jean-Luc Jennepin

Carte blanche au Festival Gnaoua et musiques du monde d’Essaouira donc, complémentairement à d’autres soirées de musique Gnaoua programmées dont nous avons rendu compte dans Ubiquité-Cultures (concert de Majid Bekkas et à venir, celui d’Hasna el Becharia). Les Gnaouas sont descendants d’anciens esclaves noirs issus des populations d’Afrique subsaharienne, métissés à la population locale. Ils sont arrivés essentiellement du Soudan au Maroc musulman, ont subi une conversion forcée et ont opéré une forme de syncrétisme à mi-chemin entre islam et animisme, formant une religion nouvelle organisée en confrérie. Chaque confrérie a un Maître/le Maâlem, un code vestimentaire, un rite spécifique qu’il met en action au cours de guérison et d’exorcisme allant jusqu’à la transe. Gardienne d’un savoir mystique ancestral, la musique gnaoua est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2019.

La soirée a mis à l’honneur le festival d’Essaouira fondé par Neila Tazi et qu’elle dirige depuis 1998. C’est « un festival populaire, gratuit et ouvert » qui met à l’honneur « altérité, diversité, créativité, ce vivre ensemble dans un monde de repli identitaire » dit-elle. Le Festival propose une plateforme pour que les musiciens gnaouas se produisent dans un contexte profane et touchent un public plus large. Cette soirée du 9 septembre fut précédée à la Kasbah d’O, espace média du Domaine d’O pour Arabesques, d’une table ronde sur le thème : Des  Maâlems d’hier à aujourd’hui – les racines vivantes de la musique Gnawa, réunissant plusieurs grands Maîtres et montrant son passage d’une dimension sacrée à une incarnation sur scène.

© Jean-Luc Jennepin

Pour Arabesques, le Maâlem Hamid El Kasri est au guembri et au chant et dès ses premières notes accompagnant une voix de velours et une présence forte, le public est conquis. A certains moments, il l’apostrophe et celui-ci répond. Le grand Maître est entouré de quatre musiciens, tous plus brillants les uns que les autres, dont Karim Ziad, directeur artistique du Festival Essaouira, à la batterie ; Torsten de Winkel, compositeur, à la guitare ; Mustapha Antari aux percussions ; Mehdi Chaïb au saxophone et à la flûte. Ils présentent leur dernière création, issue de la résidence qu’ils ont effectuée lors de l’édition 2023 du Festival Gnaoua et Musiques du Monde d’Essaouira. On se situe entre soufisme, fusion et qualité rythmique groove. Chaque solo, au cours de la soirée porte un univers qui fait voyager le spectateur. Le chant choral et psalmodié, dialogue. Quatre musiciens vêtus de caftans jaunes formant un chœur, jouent des qraqebs, sorte de crotales utilisées par paires au gré de mouvements d’ouverture et de fermeture, ils rythment la musique, de manière plus ou moins lente, et chaloupent. Les figures musicales se répètent à l’infini dans leurs subtiles variations, développant un phrasé à la fois hypnotique et entrainant.

© Jean-Luc Jennepin

Interviewée par la journaliste Yassine Elalami (cf. L’Opinion, mardi 27 juin 2023), à la question : « Quelles sont vos principales sources d’inspiration pour créer ces rythmes ? » le Maâlem Hamid El Kasri répond : « Tout d’abord, je puise ma créativité dans les profondeurs de la tradition gnaouie. Ensuite, je m’ouvre aux influences et aux rencontres. Les voyages, les échanges avec d’autres artistes, qu’ils soient gnaouis ou issus d’autres horizons musicaux, me permettent d’explorer de nouvelles sonorités, de fusionner les genres et de repousser les frontières. Enfin, la vie elle-même est une source infinie d’inspiration. Les émotions, les expériences, les moments de joie ou de tristesse, tout cela se reflète dans mes compositions. »

Cette carte blanche au Festival Gnaoua et Musiques du Monde dialoguant avec le Festival Arabesques offre une soirée puissante jusqu’aux profondeurs de la musique soufie, par le charisme du Maâlem Hamid El Kasri et par la précision et le doigté des musiciens, malgré une actualité lourde. De chaleureux remerciements !

Brigitte Rémer, le 17 septembre 2023

Samedi 9 septembre, 21h30, Grand Amphithéâtre du Domaine d’O, entrée Nord, 178 rue de la Carrierasse, Montpellier – tramway T 1, arrêt Malbosc, bus n° 24 – T 2 Station Mas Drevon – Dans le cadre du Festival Arabesques, programmé du 5 au 17 septembre 2023, à Montpellier – Site : www.festivalarabesques.fr

Natacha Atlas et Majid Bekkas

Natacha Atlas  © Jean-Luc Jennepin

Double plateau, dans le cadre du Festival Arabesques – Amphithéâtre d’O, Domaine d’O de Montpellier.

L’Amphithéâtre d’O est habillé de rose tyrien et bleu, couleurs soirée de fête. De grandes lanternes délimitent l’espace scénique. En contrebas, un dancefloor où le public peut descendre s’immerger dans les rythmes. La soirée est détendue, accueillante, le séisme n’a pas encore frappé le Maroc.

C’est un double plateau qui est proposé ce soir-là, deux parties se succèdent, l’une après l’autre. Au cours de la première, Majid Bekkas, musicien marocain et éminent représentant de la musique Gnawa, multi-instrumentiste, remplit ce bel espace, entouré de trois musiciens : Michael Homek au clavier, Manu Hermia au saxophone et au bansurî – une grande flûte traversière indienne classique, faite de bambou – Karim Ziad à la batterie qu’on retrouvera deux jours plus tard au cours de la soirée Gnawa/Festival d’Essaouira.

Majid Bekkas et Michael Hornek  © Jean-Luc Jennepin

Majid Bekkas est au chant et au guembri, un luth à trois cordes et à la caisse de résonance recouverte d’une peau, instrument emblématique des Gnawas, il joue aussi de la kalimba, petit instrument à percussions appelé sanza dans certains pays comme le Cameroun et le Congo, le public accompagne les rythmes, en tapant dans les mains, les phrases se répètent. Originaire de Zagora, au Sahara marocain, Majid Bekkas vit à Salé situé en face de Rabat. Il joue d’abord du bandjo et travaille sur des répertoires proches du chaâbi marocain, cet ensemble de genres musicaux populaires en vigueur depuis les années 1980 au Maroc, qu’on trouve dans les plaines atlantiques et le Moyen-Atlas. Puis il se familiarise avec les musiques du désert et les rythmes des danses issues des cultures arabo-berbères, de celles du désert et celles d’Afrique subsaharienne. Il se forme à la culture des confréries gnawas avec un maître musicien. Il apprend aussi la guitare et se passionne pour le blues de John Lee Hooker, BB King, Ray Charles, pour l’Afrique de Fela Kuti et Farka Touré, et travaille blues et musique soul. Il rencontre les grands musiciens de jazz au milieu des années 80 et joue sur les scènes internationales avec, entre autres, Louis Sclavis, Archie Shepp, Pharaoh Sanders, Randy Weston. Majid Bekkas mêle les influences blues, jazz et soul, aux sonorités de la musique Gnawa, ce qui marque sa musique de touches très personnelles. Il est à lui seul une sorte d’underground marocain.

Majid Bekkas et ses musiciens © Jean-Luc Jennepin

« Ma vie c’est la musique gnawa dans toute sa diversité, malaxée à sa large dimension africaine. »  Sa voix charismatique fait chalouper un public qui lui est fidèle, qui colle à la scène et danse. Le chanteur-musicien a de nombreux albums à son actif, il a reçu en 2016 le prix de l’Académie Charles Cros pour son album Al-Qantara. Sa présence est chaleureuse, la soirée est douce et rythmée.

La seconde partie du concert se passe en compagnie de Natacha Atlas, une voix reconnue dans le monde entier, mêlant les traditions vocales occidentales et moyen-orientales. Elle est accompagnée d’une pianiste éblouissante, Alcyona Mick, de Asaf Sirkis à la batterie, Andy à la basse, Hamill et Viola Bishai au violon et Hayden Powell à la trompette. Même lieu même dancefloor que précédemment, où se réunissent les plus inconditionnels des spectateurs.

Natacha Atlas et ses musiciens © Jean-Luc Jennepin

Chanteuse belge d’origine égyptienne par son père, juif égyptien aux ascendances palestiniennes, anglaise par sa mère, Natacha Atlas est née et a grandi d’abord à Bruxelles dans les quartiers de Schaerbeek et Molenbeek imprégnés de culture maghrébine, puis en Grande-Bretagne où elle est partie vivre avec sa mère à l’âge de huit ans. Elle chante essentiellement en langue anglaise et arabe, très à la marge, en français. Par l’éclectisme de son style, on la classe comme Interprète de musiques du monde. Elle commence sa carrière au sein du groupe anglais Transglobal Underground, créé à Londres en 1991. A la recherche d’une nouvelle image emblématique, la diaspora maghrébine la soutient. Elle sort en 1996 son premier album solo, Diaspora, une « invocation à mes racines » dit-elle, reçoit une Victoire de la Musique en France, en 1999, pour son interprétation et pour l’orchestration orientalisée de la chanson Mon amie la rose. Elle participe avec Samy Bishai à la musique du ballet Les Nuits, inspiré des Contes des Mille et une Nuits, chorégraphié par Angelin Preljocaj et présenté à Aix-en-Provence pour la manifestation Marseille-Provence 2013 – Capitale européenne de la Culture. Ibrahim Maalouf compose pour elle un album, Myriad Road, sorti en novembre 2015, aux tonalités jazz principalement et chanté en anglais.

Natacha Atlas défend l’altérité et la diversité, le rapprochement entre Orient et Occident. Longtemps, elle a eu du mal à se situer au regard de sa double culture. En 2001, on la nomme ambassadrice de bonne volonté de la Conférence des Nations Unies contre le racisme. Elle a enregistré une vingtaine d’albums, son chant est profond et sa voix chaude. Elle croise les traditions du jazz, sa voix en joue avec dextérité. Le concert qu’elle donne nous place au cœur d’une mélopée orientale tricotée à petits points avec l’intime, les inspirations magiques, le patrimoine, les variations de rythme, les airs latinos, les ballades. Elle travaille le métissage musical, portée par ses musiciens et leurs instruments et sait leur offrir des espaces où ils développent des thèmes en solo, dans l’expression de leur plaisir de jouer, et de notre plaisir.

Natacha Atlas et Alcyona Mick © Jean-Luc Jennepin

Le piano est particulièrement présent et dialogue avec la chanteuse, tous portent sa voix, son souffle et son répertoire d’un jazz oriental si particulier. Derrière sa présence, un peu lointaine et mystérieuse, par sa voix qui murmure, soliloque, dialogue, ou devient plus stridente, Natacha Atlas donne au public qui l’accompagne et la soutient la possibilité de se rencontrer sur le dancefloor. Belles rencontres. Belle soirée, en ses deux parties !

Brigitte Rémer, le 15 septembre 2023

Majid Bekkas © Jean-Luc Jennepin

En première partie : Majid Bekkas, guembri, kalimba, chant – Michael Hornek, clavier – Manu Hermia, saxophone, bansurî – Karim Ziad, batterie ; en seconde partie : Natacha Atlas, chant – Alcyona Mick, piano – Asaf Sirkis, batterie – Andy, basse – Hamill et Viola Samy Bishai, violon – Hayden Powell, trompette.

Vendredi 8 septembre, 21h, au Domaine d’O, entrée Nord, 178 rue de la Carrierasse, Montpellier – tramway T 1, arrêt Malbosc, bus n° 24 – T 2 Station Mas Drevon. Dans le cadre du Festival Arabesques, programmé du 5 au 17 septembre 2023, à Montpellier – Site : www.festivalarabesques.fr